Catastrophe naturelle

Publié le par Luciole

Attention, spoiler ! Dans cet article-choc, on découvre quel est le véritable métier de la Luciole... et que faire en cas d'inondation si on est entouré de jeunes enfants. Oui, je sais, vous n'en pouvez plus, chers lecteurs issus de mon imagination.

Commençons "in media res", parce que j'ai envie de replacer cette belle expression, apprise en seconde, et qui ne m'a pas tellement servi depuis, hélas.


Aujourd'hui, on a fait "inondation". Deux minutes top chrono avant la récréation, les cieux s'ouvrirent et des trombes d'eaux en sortirent. Il fut décidé en haut lieu que ladite récréation se ferait sous le préau, d'abord les plus petits, et ensuite les grands (ils ne rentrent pas tous, hélas, sauf si on les fait asseoir, mais on a bien pensé que ça ne fonctionnerait pas et que plus de 120 gamins contre 6 ou 7 adultes, c'était pas nous qui allions gagner...)


Donc, "les petits" sortent. Mon collègue a l'air au bord de la dépression nerveuse, et je lui propose de gérer les charmants bambins quelques minutes, le temps qu'il aille se chercher une boisson chaude de type caféïné, par exemple. "Non, non, ça va aller... Je gère... Tiens, je vais plutôt piquer une des tables de la garderie pour ma classe. Ca leur fera les pieds !" (Je paraphrase). Aussitôt dit, aussitôt fait. La directrice arrive, et les voilà en train de transbahuter bancs et tables... Bien entendu, les enfants décident aussitôt que courir partout en criant est une bonne idée, et je passe une bonne partie de mon temps à peaufiner mon regard-de-la-mort. Seul un petit groupe d'irréductibles ne joue pas. Ils observent, l'air pénétré, la cour qui se remplit d'eau à grande vitesse. Vu l'état pitoyable du goudron, je ne suis pas surprise. Ils comptent aussi les éclairs, c'est bien, ça fait réviser les maths...


Enfin, c'est l'heure. J'emmène mes surexcités en classe, où il reste un tout petit peu de travail avant la dégustation de la galette (note : si vous êtes parent d'élève, et que vous nous apportez des gâteaux ou des crêpes, nous vous aimons de tout notre être ! Sauf le collègue d'à côté qui râle parce qu'il en veut... mais tout est bien qui finit bien, il en aura une part.)

J'impose le silence total (chose rare), je vérifie le travail et qu'ils font bien leur cartable... tout en essayant de ne pas remarquer l'odeur nauséabonde qui a envahi la classe. Bon, c'est la période des gastros, on ne peut pas leur en vouloir, me dis-je...

"Je vais chercher les galettes. J'ouvre la porte de la classe de M. X (le collègue d'à côté). En mon absence, je veux le silence. Ecoutez tomber la pluie, je me dépêche !"

Je me dépêche, en effet, et remarque que l'odeur semble très forte à l'extérieur. Munie de mes deux galettes, de couteaux et de serviettes, je remercie le collègue au passage, et me prépare à découper la galette.


A peine les premières parts distribuées, voilà que M. X débarque dans ma classe. "Les égoûts ont débordé, le préau est inondé, il y a de l'eau jusqu'aux chevilles, je vais les aider. Tu me gardes les miens aussi, s'il te plaît ?"

Mais avec plaisir, cher collègue ! Me voilà tentant de découper une galette et demie tout en maintenant le calme dans DEUX classes à la fois "Si j'entends du bruit, ça va barder ! Je vais mettre des barres, et le maître décidera de votre punition !" (Ah, le retour aux bonnes vieilles traditions... Surtout un couteau à la main, ça donne. ;-) )

5 minutes passent... Puis 10... M. X revient ! Ô joie !

"La mairie vient d'arriver... Ils ont apporté 2 balais et un aspirateur ! Un aspirateur à poussière, tu sais ?!"

"Heu... Un appareil électrique dans une pièce inondée, c'est ça ?" je demande, interloquée.

"Ah ouais, j'y avais même pas pensé !" Il repart... Ah... Ben... Il reste quoi, 20 minutes ? Heu...

"Maîtresse, j'ai fini ! Je fais quoi ?"

"Moi aussi j'ai fini !"

"Et moi aussi !"

Heu... Vite, vite, vite...

"Et si on chantait ?"

J'envoie quelques élèves de ma classe faire un concert improvisé à côté. C'est toujours ça de pris...

Nous avons fini par faire une sorte de chorale, avec une Luciole en chef d'orchestre, dans l'entrebaîllement de la porte, un bras dans chaque salle.

"A mon signal... Attention, on regarde ma main !"

Et c'est parti pour 10 minutes de folie, dignes d'un bar karaoke nippon (au moins) ! Tout y est passé, notamment le très populaire "Pirouette Cacahouète". Nous étions sur le point de nous rabattre sur des chants de Noël lorsque M. X revient. Ouf. Ah, voilà la directrice !


"Nous ferons sortir les enfants par le côté. Il faut que tu gardes dans ta classe ceux qui restent à la garderie ou à l'aide aux devoirs, et que tu amènes les autres au portail de la cour."

Ah mais oui, mais... Je me dédouble ? Allez, hop, on a 10 minutes pour élaborer une stratégie avec M. X, c'est super jouable. En attendant, on range la classe, zou !

"J'ai envie de faire pipi !"

"Moi aussi ! Ca presse !" Bien sûr, accompagné de sautillements et de grimaces de douleur. Sous ce déluge ?! Et les toilettes des filles sont sous le préau... Bon, vite, formons un groupe (comment ça, vous êtes 7 à avoir la vessie qui éclate ?!) et zou ! Ils y vont, ensemble, et doivent revenir ensemble. C'est juste la cour à traverser, courage et attention aux flaques !

Pendant ce temps, faire s'habiller les autres... Ah, voilà les grands qui nous "doublent", ils partent un peu en avance, bonne stratégie. Mes vessies fragiles reviennent, trempés comme des soupes, et deux sont en pleurs. Allons bon... Qu'y a-t-il ?

"J'ai peur que l'eau vienne dans la claaaaasse !" Meuh non, voyons. En plus c'est l'heure, on y va. Ah, et avec tout ça, je fais comment pour me dédoubler ? Je sais. Je vais proposer de conduire aussi la classe de M. X, et il surveillera ceux qui restent avec nous. Aaaah, trop tard, ils viennent de passer en trombe devant nous ! Ouf, la secrétaire est là, elle veut bien me les garder quelques minutes.


J'escorte ma horde sauvage dehors, et là... Cauchemard. Il y a bouchon au portail. Heureusement, il y a les gentilles dames de la garderie. Peuvent-elles s'occuper de la sortie pour moi, j'ai deux élèves en pleurs dans ma classe, et...


Bon, problème réglé. Je retourne en classe, le coeur léger. Là, la secrétaire est sur le point d'en tuer un pour l'exemple. Je lui glisse un mot de remerciement et un "Ils sont petits, ils ont peur, je m'en occupe" et elle repart, pas mécontente.

Je pousse quelques tables, et je propose de faire une ronde et quelques exercices de respiration pour se calmer... Les sanglots commencent à peine à s'espacer lorsque débarque une petite dizaine d'élèves, trempés comme des soupes.

"Leurs parents ne sont pas encore là, alors on vous les ramène" m'explique la secrétaire.

Nouvelle crise de panique dans les rangs : "Les parents peuvent pas venir nous chercheeeeeeeer à cause de la pluiiiiiiiiiiie !"

Aaaaaaaargh... Je me fais rassurante. "Allez, on enlève les manteaux mouillés, je monte le chauffage, allons tous près du chauffage !"

S'ensuit un va-et-vient de parents, tandis que des élèves d'autres classes me sont amenés (je les garde, ma foi, il pleut tout ça tout ça). Je rassure comme je peux, j'écoute les peurs et les pleurs et je promets de rester jusqu'à ce que le dernier enfant soit parti avec ses parents.

Je fais intervenir quelques parents, qui nous disent et redisent que non, il n'y a pas d'eau du tout dans les rues, que c'est juste le préau.


La plupart des élèves se calment, sauf une. "Mais moi j'ai peur que l'eau soit dans l'école ! Je veux pas rester à l'école !" Il s'avère qu'il y a quelques années, en pleine nuit, sa maison a été inondée et ils ont dû être évacués. Les enfants de la garderie sont regroupés dans ma classe (la plus proche de la sortie et la plus loin du préau maudit) et nous sommes donc plusieurs adultes pour gérer la situation. Je prends quelques élèves et nous allons voir où ça en est sous le préau, pour les rassurer. Mal m'en a pris, l'eau est maintenant à la première marche des escaliers qui conduisent au couloir... Comme quoi, un aspirateur et deux balais, ce n'est pas le top du top... (sarcasme, quand tu nous tiens).


Repli stratégique... Et hop, on va lire une histoire ! Puis deux, puis trois... "Quand est-ce que maman arrive ?" "Quand la grande aiguille sera sur le neuf, normalement."

Hélas... Maman aura 5 minutes de retard (le temps de faire le tour ?) Devant cette nouvelle épreuve, nouvelle crise de panique : "J'ai peur... On va manger quoi ?"

"Ne t'en fais pas, tu ne vas pas rester bloquée ici toute la nuit. On peut rouler, dehors."

"Je veux pas rentrer chez moi."

Allons bon... Pourquoi ?

"J'ai peur que ma maison s'effondre à cause de la pluie !" (amalgame avec le séisme ?)

"Mais non... Tout ira bien, tu vas voir..."

"J'ai pas mon pyjama !" s'inquiète soudain une élève.

"Hé bien tu sais quoi ? Moi non plus !" Oui, j'ai répondu ça. Mais sur le mode de l'humour, hein. Genre : "On est tous dans le même bateau, mon pote."


Ooops, revoilà les larmes. Montons donc sur les bancs et regardons dans la rue dehors. Ah, tiens, ce n'est pas inondé, vous voyez ? Donc, pas d'accident, tout va bien... Ouuuuf, voilà les parents de mes deux paniquées ! Merci, merci, merci. J'explique brièvement la situation, et je retourne à mes moutons. Bientôt, les derniers s'en vont. Ouf, la crise est passée, et moi j'ai réalisé quelque chose que j'ai un peu tendance à oublier, dans le feu des programmes : mes élèves sont vraiment petits, et ont besoin d'être rassurés.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article